La note à lécole: un repère clair et lisible
La note à lécole: un repère clair et lisible
Rita Bichsel, membre du Comité de lARLE (Association Refaire lécole) nous livre ici sa réaction à linterview de Dario Lopreno, publié dans solidaritéS 42. Le débat est ouvert! (réd)
Depuis les années soixante, et plus fortement à la suite de mai 68, lécole en tant que lieu de transmission rigoureuse des connaissances et en tant quinstance qui en vérifie lapprentissage de manière sommative et sélective a connu les critiques et a subi les transformations que nous connaissons tous. Le bagage culturel de cette école-là a été repoussé en bloc en tant que symbole du pouvoir de la classe dirigeante. Différents mouvements de gauche notamment ceux qui pensaient que pour changer la société il suffisait denseigner «la culture populaire» ont participé à cette sorte de révolution culturelle dans les programmes et dans les méthodes denseignement, guidés par lidée que, comme le savoir quon transmet dans lécole républicaine fait bien laffaire du pouvoir établi, il fallait détruire dabord les contenus «bourgeois» et ensuite construire un autre savoir avec des moyens pédagogiques nouveaux.
On a substitué à lusage culturel de la lecture comme voie daccès aux uvres du patrimoine littéraire, lidée quelle sert à sinformer et se documenter. On a substitué à lusage culturel de la mathématique, comme voie daccès à une progression structurée qui explicite les évidences, décompose les difficultés et enchaîne les résultats, lidée utilitariste quelle ne sert quà résoudre des problèmes. Sur cette idée se sont greffés dautres intérêts, amenés, eux, par une droite lucide et déterminée à asseoir son pouvoir sur lécole et la pédagogie. Sur lécole, qui est le vivier où elle puise les salariés dont elle a besoin. Sans compter que lécole représente aussi un marché fort lucratif. Il suffit de penser aux calculatrices, aux ordinateurs dont on léquipe et aux méthodes denseignement qui se monnaient.
Une vague novatrice déferle actuellement sur les programmes et les méthodes prétendant établir une société non pas cultivée mais capable dactiver des compétences, formée non pas au sens critique mais à la dextérité dans lutilisation de pratiques ponctuelles et pragmatiques dans des situations données. Lenseignement structuré et rigoureux na pas de place dans une telle conception de lécole: il est effectivement en voie de disparition et fait place à une construction de compétences qui ne sont pas censées devenir un patrimoine permanent pour chaque individu, pour la simple et bonne raison quil leur manque un cadre dans lequel sinscrire selon une progression claire et cumulative.
Les exemples en la matière seraient nombreux, mais je me limite à la mathématique, car Monsieur Lopreno y fait lui-même allusion. Une fois de plus, on invoque largument selon quoi «comparaison nest pas raison». Pour ce cas particulier des performances en mathématique dil y a dix ans en regard de celles de lannée précédente, la comparaison est parfaitement plausible. En effet:
- la population délèves testés est la même. Le regroupement A réunit des élèves anciennement de sections latine, scientifique et moderne, avec une petite frange délèves qui, en fonction des nouvelles normes de promotion, bénéficient dune orientation plus généreuse. Ce petit pourcentage délèves ne modifie pas de manière significative léchantillon étudié;
- le contenu du plan détude a été revu à la baisse pour tous les élèves de profil scientifique, au nom des mêmes objectifs dapprentissage pour tous. Il y a donc dans léchantillon 2003 un grand pourcentage délèves qui ont été soumis à des exigences moindres par rapport à celles quils auraient dû affronter si la rénovation du cycle dorientation navait pas eu lieu;
- les difficultés techniques sont inférieures à celles de 1993, par respect des principes directeurs du nouveau plan détude. Malgré cela, les élèves de 2003 sont moins performants que ceux de 1993;
- le nouveau plan détude se veut davantage axé sur le développement du raisonnement. Face à ce genre de difficultés, les élèves de 2003 sont très peu performants, et ce malgré un enseignement primaire axé sur le raisonnement;
- si nous résumons: plan détude plus facile et moins touffu pour un nombre non négligeable délèves, difficultés techniques moins poussées, exigences très légèrement plus marquées en raisonnement. Résultats nettement moins bons.
Il est tout à fait normal, et même impératif, de se demander en quoi les modifications des méthodes et des structures ont amélioré lenseignement de la mathématique au cours de ces dernières années. Je donne un élément de réponse: on ne peut enseigner des stratégies de recherche sans substrat solide: «Dès que le calcul nest plus routinier ou complètement balisé, son pilotage intelligent ne peut se faire sans un répertoire minimal numérique et formel, qui permet de reconnaître des formes, danticiper des transformations possibles et pertinentes. Une partie de ce répertoire doit être mémorisée et immédiatement accessible, en fonction des fréquences demploi, une autre partie peut être mémorisée de façon plus floue mais rapidement récupérable.»1
Dans le domaine de lévaluation, M. Lopreno affirme qu«on sélectionne autant avec une évaluation formative quavec des notes». Nous sommes daccord sur ce point, avec la nuance de taille quon pénalise plus fortement une catégorie délèves: ceux qui, issus de milieux défavorisés, nont que lécole pour apprendre. Le repère de la note chiffrée est clair et lisible par toutes les classes de la population. La verbalisation et lécrit sont le véhicule de lévaluation formative. Qui sont les parents qui maîtrisent suffisamment bien ces deux moyens de communication pour comprendre comment aider leur enfant et prendre les mesures qui simposent? Certainement pas ceux pour lesquels la rénovation a été mise en place. A ce propos on peut encore citer deux extraits dun remarquable travail2:
- «Lévaluation formative sarrête à la porte de la classe; elle se déroule entre lenseignant et ses élèves».
- «Les mesures (notes ou scores exprimant des quantités dapprentissages mesurées par des examens, des contrôles ou des tests) ne sauraient être ignorées ou mises de côté: elles sont les assises objectives des jugements dévaluation et des décisions pédagogiques ou administratives qui en découlent».
Rita BICHSEL
- Lenseignement des sciences mathématiques, sous la direction de Jean-Pierre Kahane, Odile Jacob, p. 219, mars 2002.
- Pour une évaluation des apprentissages scientifiquement fondée, Avis dexperts en mesure et évaluation des apprentissages sur le projet de la politique dévaluation des apprentissages, Serge P. Seguin, Jean-Yves Lancup, Carmen Parent, Réjean Auger,Claudine Nézet-Seguin, Zeycan Yegin, LABFORM, Faculté déducation du Québec à Montréal, juin 2001.